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La formation professionnelle vue par Elisabeth Baume-Schneider

Marché de l'emploi -
22 juin 2012


La formation professionnelle vue par Elisabeth Baume-Schneider
Ministre de la Formation, de la Culture et des Sports de la République et Canton du Jura, Elisabeth Baume-Schneider est l'actuelle présidente du Gouvernement jurassien. Membre du Parti socialiste, elle assume plusieurs mandats liés à l'éducation, tant au niveau cantonal que romand et national.
Elle occupe notamment les fonctions de présidente de la Conférence intercantonale de l'instruction publique de Suisse romande et du Tessin (CIIP), du Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation (CSRE), de la Fondation Education et développement (FED) du Comité stratégique de la HEP-BEJUNE et de membre du comité de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP). Un emploi du temps très chargé qui ne l'a pas empêché de répondre à nos questions liées à la formation professionnelle.
 
Quel jugement portez-vous sur le système suisse dual de formation professionnelle ? Il est régulièrement loué hors de nos frontières mais sa singularité ne le rend-il pas difficilement interprétable ?

Elisabeth Baume-Schneider : Notre système dual de formation professionnelle est de qualité et prometteur, non seulement du point de vue de son efficience économique, mais aussi de sa cohésion sociale et du développement de la personnalité des jeunes en formation. Naturellement, comme tout système, il doit évoluer et se transformer en fonction des impératifs de notre société. Mais je suis confiante dans sa solidité et son attractivité, ce d'autant plus que la qualité de la main d'oeuvre suisse est reconnue à l'étranger, ainsi que par les entreprises étrangères établies ou venant s'établir en Suisse. Nous devons encore améliorer la situation dans le domaine des reconnaissances de formation afin de favoriser la mobilité des jeunes.


Le marché des places d'apprentissage remplit-il les besoins du marché de l'emploi ? Le nombre d'entreprises formatrices est-il suffisant en Suisse ?

Elisabeth Baume-Schneider : Globalement le marché des places d'apprentissage permet de répondre aux besoins du marché de l'emploi, mais dans certains domaines et de manière conjoncturelle, voire structurelle, il est vrai qu'il y a un problème de pénurie que le système de formation n'arrive pas à combler. Il est nécessaire de collaborer avec les associations professionnelles afin qu'elles s'impliquent pour valoriser certains métiers ou certains cursus de formation afin de tendre à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande. Une piste consiste à promouvoir certaines professions, notamment techniques auprès des filles et également de veiller à aménager les horaires de travail dans certaines branches.  En ce sens, il ne s'agit pas de disposer d'une offre pléthorique d'entreprises formatrices, mais d'inciter toutes les entreprises  à  participer à l'effort de formation.
Le fait par exemple que des entreprises puissent se partager un ou plusieurs apprentis et qu'une association ou qu'un réseau professionnel assure la coordination de la formation me paraît une solution pertinente à exploiter. Elle ne doit cependant pas devenir la règle, mais plutôt suppléer les difficultés du système dans certains secteurs.

Quel jugement portez-vous sur le rôle de l'immigration dans le cadre de la formation professionnelle ? Faut-il encore plus la favoriser pour pallier le manque de personnel hautement qualifié dans certains domaines ?

Elisabeth Baume-Schneider : La Suisse a toujours été une terre d'immigration et sa prospérité doit beaucoup à sa capacité d'intégration de personnes issues d'autres horizons géographiques. Il n'y a pas de raison que cela change et que nous renoncions à ce courant migratoire. Je suis  très attachée à cette ouverture, non seulement par intérêt économique, mais aussi par conviction politique, pour autant qu'elle corresponde à un réel besoin et non à un désengagement de la Suisse à former sur son territoire la relève dont elle a besoin dans le futur.

L'accès à la formation professionnelle est-il garanti pour tout le monde ? Vous avez travaillé au Centre spécialisé pour handicapés de la vue à Peseux. Pensez-vous que les prestations et services à l'égard des personnes handicapées sont suffisants et adaptés en matière de formation professionnelle ? Quel est votre opinion sur la 6e révision de l'AI ?

Elisabeth Baume-Schneider : La loi sur la formation professionnelle et la plupart des lois cantonales en la matière garantissent aux personnes handicapées un accès à la formation. Des institutions spécialisées soutenues par l'Etat permettent de venir en aide et d'accompagner une personne en quête d'une première formation, notamment un apprentissage.
On peut regretter toutefois la disparition des "formations élémentaires" au profit des attestations de formation professionnelle (AFP). Le delta de formation est devenu trop important pour certaines catégories de jeunes, ce qui les prive de l'accès à une certification reconnue. Au sujet de la révision de l'AI, je regrette, les critères parfois discriminants ne permettant pas à un jeune d'envisager une formation  un peu plus tard dans son parcours de vie car pour certains jeunes, on observe un développement plus lent mais riche en potentiels et si les décisions de rentes sont rassurantes du point de vue financier, elles empêchent des perspectives de formations. D'autre part, parfois, le handicap n'est pas reconnu et le parcours de formation est également difficile. Je constate que les parents ou les associations de soutien assurent un formidable soutien à ces jeunes.


La perception et l'organisation de la formation professionnelle sont-elles différentes d'un côté ou de l'autre de la Sarine et en fonction des cantons ? Quelles sont les caractéristiques du Jura dans ce domaine ? Pensez-vous qu'il faudrait oeuvrer pour une meilleure uniformisation nationale, cantonale et sectorielle de la formation professionnelle ?

Elisabeth Baume-Schneider : Effectivement, nous observons des différences de part et d'autre de la Sarine, mais il ne s'agit en aucun cas d'un Röstigraben. Par exemple le poids de la formation professionnelle, soit le nombre de jeunes gens effectuant un apprentissage, est plus élevé en Suisse alémanique. De même la présence des écoles supérieures (ES) est aussi plus marquée.
Le canton du Jura a des caractéristiques qui le rapprochent des cantons de Suisse alémanique pour ce qui a trait au poids de l'apprentissage. Cette situation est également une réponse à son tissu industriel régional. En revanche, sur le plan des formations tertiaires, il est plutôt latin.
Les compétences de la Confédération en matière de formation professionnelle sont importantes et il ne serait pas judicieux à mon avis de les renforcer au détriment des cantons ou des associations professionnelles. Ce partage des responsabilités et la part d'autonomie laissée à chaque acteur garantit à mon sens son efficacité et sa pérennité. D'autre part, il est indispensable que la Confédération assume financièrement ses obligations, ce qui actuellement n'est pas encore le cas !

Qu'en est-il de la correspondance entre le domaine de la formation professionnelle supérieure et celui des hautes écoles ? Leur complémentarité est-elle effective ?

Elisabeth Baume-Schneider : L'articulation entre la formation professionnelle supérieure et les hautes écoles est en plein questionnement. D'un côté le système des HES qui est maintenant bien intégré dans le paysage et de l'autre celui des ES qui est en quête de légitimité et de reconnaissance nationale et  internationale. Même si les approches dans certains secteurs sont différentes en Suisse romande et en Suisse alémanique, je ne doute pas que nous arrivions à un consensus comme la Suisse sait si bien les construire. L'apprentissage n'est pas une voie duplicable au niveau tertiaire, même si je suis d'avis que pour les HES nous devons absolument préserver une part de formation pratique importante et une connexion très directe avec le tissu économique de la région, notamment dans le cadre de la recherche, des formations postgrades et de la formation continue. Si les HES entraient dans un modèle dual, je redouterais qu'à très court terme, les entreprises ne proposent plus autant de place de stages ou de formation pour le secondaire II. A ce titre, j'observe déjà une "sélection" des meilleurs apprentis avec comme critère réducteur les seuls résultats scolaires ou le profil scolaire du jeune recherchant une place d'apprentissage.

Quelle évolution constatez-vous au niveau des programmes de formation professionnelle ? Les avancées technologiques conduisent-elles à une trop grande spécialisation de certaines professions, avec pour conséquence une difficulté à se réorienter si le désir s'en ressent ? Ou au contraire, les formations professionnelles proposent-elles généralement une approche pluridisciplinaire offrant une large palette de choix professionnels ?

Elisabeth Baume-Schneider : Les formations devenant de plus en plus rapidement obsolètes et les enjeux se déplaçant progressivement des formations initiales à la formation continue, la tendance est aujourd'hui à des programmes de formation de base construits sur un socle pluridisciplinaire large. C'est effectivement prendre le risque que les formations collent moins aux besoins immédiats des entreprises, d'un autre côté c'est mettre sur le marché des personnes davantage mobiles et flexibles sur une longue vie active.
Dans certains domaines, notamment les MINT et la santé, un sérieux problème de relève se fait sentir ou se pointe à l'horizon. Cela n'est pas dû à la qualité ou au contenu des programmes de formation, mais à des phénomènes conjoncturels ou des questions d'image de ces métiers.

Avez-vous d'autres observations à faire sur des enjeux actuels liés à la formation professionnelle ?

Elisabeth Baume-Schneider : J'ajouterais que nous devons porter une attention particulière au suivi des jeunes dans le cadre de leur apprentissage afin que de bonnes conditions d'apprentissage soit garanties et d'éviter les ruptures de formation. Je souhaiterais également aménager des cursus de formation particuliers pour les personnes reprenant plus tard une formation professionnelle ou tentant une validation d'acquis. Pour chacune de ces situations, il est indispensable de maintenir et développer un dialogue ouvert et franc entre formateurs, décideurs politiques et entreprises. Dans le Jura, nous pouvons compter sur une forte implication des entreprises dans le domaine de la formation et le dialogue est de qualité.

Propos recueillis par Ludovic Pillonel


Synthèse de l'interview visible dans le 4e guide romand de la formation professionnelle

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